Valeurs Actuelles, 10 October 2013
Certes, les intellectuels de droite sont peu nombreux. La forte prééminence des intellectuels et universitaires de gauche depuis plus d’un siècle et la puissance du monde médiatique, majoritairement à gauche, expliquent l’existence d’une vie intellectuelle de gauche florissante. Un intellectuel de droite est un oxymore.
Mais pourquoi les intellectuels non spirituellement encartés montrent-ils tant de réticences à nourrir en idées les politiques de droite ? Peut-être y a-t-il une forme de mauvaise conscience chez certains intellectuels à se voir associés à la droite. Mais leur gêne ne tient-elle pas plutôt au peu de cas que la droite fait d’eux ? En effet, les hommes politiques de droite ne brillent pas, sauf exception, par leur intérêt pour la pensée ni pour ceux qui pensent, quand ils ne les méprisent pas tout bonnement. La dominance morale de la gauche serait donc la conséquence de la faiblesse intellectuelle de la droite, et non sa cause.
Les raisons en sont multiples. Historiquement, l’homme de droite se méfie d’un groupe qui lui a toujours préféré la gauche. Philosophiquement, la droite fait plutôt l’éloge de l’action et du pragmatisme, qu’elle juge supérieurs à la contemplation, d’où un certain soupçon à l’égard des noeuds au cerveau et une tendance à vouloir “faire peuple”. Aujourd’hui encore, la droite pense que la figure de l’homme providentiel, qu’elle chérit tant, lui permet de faire l’économie de la pensée. À la rigueur, cet homme-là pourra invoquer quelques valeurs qui feront vibrer les foules et tiendront lieu de programme.
La difficulté à penser de la droite française a aussi des racines morales. Si les libéraux ont fait le pari du pragmatisme, les conservateurs ont peiné à se penser en dehors des catégories prédéfinies de réaction et de révolution, la seule droite capable d’un exercice intellectuel étant malheureusement la plus extrême. D’une part, le discours actuel de la droite dite décomplexée reste peu puissant, n’étant qu’une juxtaposition de slogans superficiels sans fondement réflexif. D’autre part, celui de la droite modérée ressemble à de l’eau tiède, peut-être par honte de ne pas penser juste.
La doxa dominante, en effet, est aujourd’hui à gauche. L’égalitisme – géniale formule de Philippe Muray -, le changement pour le changement, le déterminisme social valant excuse, voilà l’esprit du temps. Déconstruire tout cela obligerait la droite à élaborer une pensée cohérente et singulière, hors des références de la gauche. C’est un travail difficile, qui implique d’accepter de déplaire. Mieux vaut donc rester dans le flou…
C’est pourtant aux hommes politiques d’agir. Qu’ils sortent de cette opposition stérile entre pensée et action. Qu’ils osent douter de l’homme providentiel. Qu’ils ouvrent avec humilité leur porte aux intellectuels. À moins que le désert intellectuel, ce ne soit la France, comme l’écrivait Jean-Claude Milner (Existe-t-il une vie intellectuelle en France ? Verdier) ? Mais sauf à faire ses valises, autant faire quelque chose plutôt que rien. Donc penser.
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Credit: Rothko, Untitled (Black on Grey), 1970